Les hommages se suivent et se ressemblent. Après Klaus Schulze, voici celui de Vangelis, disparu à peine un mois plus tard, ce 17 mai dernier. Ils ont pour point commun d’avoir défriché un territoire musical électronique encore vierge dans les années 70. Je vous propose donc une rétrospective de l’oeuvre de Vangelis, que j’ai collectionnée jusqu’en 1990.
Vangelis, de son vrai nom Evangelios Odysseas Papathanassiou, naît en Grèce le 29 mars 1943. A l’âge de 22 ans, en 1965, il forme le groupe de rock The Forminx, qui acquière une renommée. Puis, dès 1968, c’est l’aventure Aphrodite’s child, groupe qui aura le succès qu’on lui connaît. Après seulement 3 années passées en leur sein, Vangelis décide de prendre son envol, en composant son premier disque seul, qui est un genre dans lequel il gagnera ses lettres de noblesse, à savoir… une musique de film !
I – Les albums solos :
En 1970, Vangelis vit à Paris. Et c’est Henri Chapier, futur célèbre présentateur du « Divan », qui va lui permettre de s’exprimer à sa guise, en lui commandant la musique de son film, intitulé « Sex power ». C’est un mélange tantôt de percussions, tantôt de piano et par moments de musique expérimentale. Tout cela entrecoupé de moments un peu niais… qui marchent peut-être mieux avec les images du film. Toujours est-il que c’est loin d’être inintéressant, et permet surtout à Vangelis de mettre un pied dans le monde de la musique de film.

« Hypothesis » est enregistré l’année suivante. La superbe pochette, signée Angus Mc Kie, abrite en son sein un disque à tendance free jazz. Autant dire que ce n’est absolument pas ma tasse de thé !
La pochette ouvrante de « Sex power » :

« The dragon » est la suite logique de « Hypothesis » tout simplement parceque cet album reprend la musique issue des mêmes sessions et des mêmes musiciens. Les 2 albums ont été produits par Giorgio Gomelsky, une pointure en la matière puisqu’il a également été producteur de Gong et Magma. Sauf que ces disques n’auraient jamais du voir le jour, car leur production n’était pas terminée… Suite à la faillite du label de l’époque, « Charly records » s’en est approprié les droits, pour sortir ces disques à la fin des années 70, période où le nom « Vangelis » inscrit sur la pochette faisait forcément vendre…
La pochette, juste magnifique, et que j’ai encadrée dans mon salon, est signée Terry Oakes.

En 1972, Vangelis réalise son premier véritable album, en prenant pour thème les événements de mai 1968, et ça donne « Fais que ton rêve soit plus long que la nuit ». Les paroles sont en français, puisqu’elles reprennent les graffitis de l’époque : « Le rêve est réalité, jouissez sans entraves ». C’est un disque foutraque, qui mélange des chants du peuple avec des bruits de manifestation et des interviews datant de mai 68, tout cela ponctué de musique douce et mélancolique. Entre documentaire pris sur le vif et musique décalée, c’est un pari osé, difficile à écouter.
En 1973, « Earth » est un album qui sort des sentiers battus : très rock dans son ouverture, avec le titre « Come on », puis instrumental avec le magnifique « Sunny earth ». La face A se termine par une invitation au voyage grâce à la chanson « He-o », accompagnée par un mélange de synthés, tablas et flûte joués par Vangelis.
La face B poursuit le trip planant, doucement mais sûrement, à l’aide d’une musique lente, rythmée par un tambour oppressant, atténué par des choeurs aériens. L’ensemble de l’album est une véritable réussite : Vangelis vient de trouver sa voie, même si les synthés sont encore peu présents.
And my song would travel along
From bird to wing, to tree
To breeze to heart to breath to song

Après la Terre, ce sont les animaux qui ont droit à une ode. C’est l’album « L’apocalypse des animaux », paru la même année, qui va lancer la carrière de Vangelis. En cela, aidé par Frédéric Rossif, un journaliste qui connaît un grand succès grâce à ses films documentaires sur les animaux, alors rares à l’époque, à la télévision. Pour illustrer le reportage, Vangelis crée une musique de toute beauté, qui oscille entre rêverie et divagation, avec quelques accents de jazz, tout cela mis brillamment en musique grâce à un subtil mélange de sons électroniques et acoustiques.
1975 voit la sortie du film « Entends-tu les chiens aboyer ? », par le réalisateur François Reichenbach. C’est Vangelis qui est en charge de la BO, et il nous offre une oeuvre magistrale de 38 minutes, dont la première partie est belle, calme et triste, avec des choeurs masculins sublimes; tandis que la seconde partie commence avec des synthés survoltés avant d’enchaîner sur une longue plage minimaliste et parfois expérimentale aux accents inquiétants. Le disque se termine par une musique à forte consonance grecque.
Le disque ressortira en 1977, sous le titre « Ignacio », du nom du personnage principal du film.

La pochette ouvrante de « Entends-tu les chiens aboyer ? » :

On reste en 1975, avec un nouvel album de Vangelis, qui est aussi mon préféré : « Heaven and hell ». Autant l’avouer, la dualité enfer et paradis, à l’image de la pochette, rouge flammes côté recto, et bleu ciel côté verso, a inspiré notre Papa des claviers. Et si la recette est plus ou moins la même, choeurs, claviers et percussions, elle n’a jamais été aussi prodigieusement mise en scène. « Heaven and hell » marque le début de la période électronique de Vangelis, grâce à son nouveau studio privé, le « Nemo ».
Cet album est aussi la première collaboration de Vangelis avec le chanteur de Yes, Jon Anderson, sur le titre « So long ago, so clear ».

L’année suivante, Vangelis compose de nouveau une BO, pour « La fête sauvage », le dernier documentaire animalier de Frédéric Rossif. Vangelis réussit l’exploit d’intégrer à sa musique des rythmes et chants africains, qui transportent irrémédiablement l’auditeur sur ce continent. Le crossover, musique brute et organique / sons arrangés et synthétiques, est un pari osé mais ici parfaitement maîtrisé.
Toujours en 76, on décolle de la planète Terre, avec le nouveau Vangelis, intitulé « Albedo 0.39 ». Le titre de l’album est issu de l’albedo de la Terre, qui est de 0.39, l’albedo étant le pouvoir réfléchissant de la planète. C’est un disque résolument moderne, et même encore aujourd’hui, grâce à son alternance de musique 100 % synthétique et d’orchestration plus jazzy, très rythmée. L’opus s’achève sur le monologue d’un astronaute, lors de l’alunissage d’Apollo, ou l’art de téléporter l’auditeur dans les étoiles.
2 titres issus de cet album vont apporter la célébrité à Vangelis : « Pulstar » et « Alpha ». Et ça ne fait que commencer…

La pochette ouvrante de « Albedo 0.39 » :

« Spiral » en 1977 vient enfoncer le clou. Un album culte aussi bien par sa pochette que par son contenu, dont le célébrissime « To the unknown man », un titre au leitmotiv répétitif, qui vous enveloppe par sa fausse douceur, tel un anaconda qui enserre lentement mais sûrement sa proie.
« Going on means going far; going far means returning » Tao Te Ching
C’est la citation qui figure sur la pochette, annonciatrice du concept de l’album : la vie est une spirale… où le Tao Te Ching représente l’ordre naturel de l’univers.
La pochette ouvrante de « Spiral » :

1977, c’est l’inauguration du Centre Georges Pompidou à Paris, un musée d’art moderne, appelé communément « Beaubourg ». Et en 1978, c’est le nouveau disque de Vangelis. A l’image du musée qui défraye alors la chronique par son architecture novatrice et controversée, l’album de Vangelis va lui aussi à contre-courant en nous proposant une musique contemporaine à laquelle il ne nous avait pas habitué. Honnêtement, je ne suis jamais rentré dans cet album qui reste pour moi hermétique avec une succession de sons, sans réelle structure.

Un an plus tard, retour en terrain connu (et conquis !) pour la nouvelle BO d’un film de Frédéric Rossif : « Opéra sauvage ». Le titre « L’enfant » devient le nouveau succès de Vangelis, et sort par ailleurs en maxi 45 tours (j’ai oublié la photo !). L’ensemble du disque fait la part belle au, alors tout nouveau, Yamaha CS-80, qui sera plus tard utilisé dans les BO des Chariots de feu, et Blade Runner ! C’est l’instrument qui devient la marque de fabrique de Vangelis dans les années 80.
La pochette ouvrante de « Beaubourg » :

La pochette ouvrante de « Opéra sauvage » :

En 1979, Vangelis surprend une nouvelle fois, avec l’album « China ». C’est donc à un voyage en Chine qu’il nous invite, en intégrant à ses compositions des sonorités asiatiques. Les titres sont évocateurs du dépaysement proposé : « Chung-kuo », « Yin & yang », « The tao of love »…
Pour la petite histoire, Ridley Scott va utiliser le titre « The little fete » afin d’accompagner une publicité qu’il a réalisé pour Chanel n° 5 !

Un an plus tard, « See you later » débarque chez les disquaires. La pochette est réalisée, tout comme celle de « China », mais aussi de plusieurs autres albums, par Veronique Skawinska, photographe, et qui est, ni plus ni moins, que l’épouse de… Vangelis !
C’est à nouveau un virage que prend Vangelis, en intégrant pas mal de voix à sa musique, tantôt chantées, tantôt parlées, et parfois passées au vocoder. Mention spéciale à la chanson « Multi-track suggestion », dont le rendu new-wave avec son mid-tempo dansant, est parfaitement représentatif des sonorités de l’époque.
La pochette ouvrante de « China » :

1981 : l’année de la consécration avec l’album « Les chariots de feu » qui reprend la BO du film du même nom. Réalisé par Hugh Hudson, le film raconte l’histoire de 2 athlètes qui s’opposent dans une course, en 1924, sur fond d’antisémitisme. Le titre sobrement intitulé « Titles » devient mondialement célèbre. Et si ce titre est prodigieux dans l’esprit victorieux qu’il inspire, le reste de l’album est quant à lui, plutôt plat et anecdotique.

En 1983, nouvelle BO pour Vangelis : « Antarctica ». Koreyoshi Kurahara filme le parcours de chiens de traineaux laissés à l’abandon au pôle sud. Le film est un succès au Japon, et par là-même également la BO. La musique, calme et rythmée, nous plonge dans les étendues glacées de l’Antarctique, entre neige et banquise. Splendide !
L’insert du pressage japonais de « Antarctica » :


L’édition française de 1982 :

En 1982, Vangelis compose l’une de ses oeuvres les plus célèbres, qui reste indissociable du film qu’elle sublime : « Blade runner » !
Tiré d’un roman de science fiction de Philip K Dick, le film est magistralement dirigé par Ridley Scott, avec des acteurs cultes (Harrison Ford, Rutger Hauer, Sean Young…). Il en résulte un chef-d’oeuvre, qui mélange roman noir et anticipation, alors que la musique de Vangelis vient magnifier des scènes exceptionnelles, de toute beauté.
A gauche, l’édition brésilienne de 1982, et à droite l’édition européenne de 2015 :

Et il faudra attendre 2015 pour voir la toute première édition de « Blade Runner » en vinyl ! En effet, jusqu’à cette année là, il n’existait qu’une pâle reprise de la BO par le « New american orchestra ». Pour l’anecdote : un des titres est chanté par l’ancien acolyte de Vangelis, de l’époque Aphrodite’s child, Demis Roussos !
La pochette ouvrante de l’édition de 2015 :

« Soil festivities » se veut la bande originale de la vie, la vie souterraine qu’on ne peut voir qu’au microscope ou la nuit. Composé de 5 mouvements, l’album crée une atmosphère différente de ce qu’a pu produire Vangelis par le passé. Une ambiance plutôt sombre et inquiétante, vient délicatement vous envelopper pour ne pas vous lâcher du début jusqu’à la fin. Une belle réussite, sortie en 1984.

« Mask », quant à lui est divisé en 6 mouvements, et c’est bien son seul point commun avec son prédecesseur. Il s’agit en fait d’un opéra baroque, avec choeurs et envolées lyriques, sur une musique qui alterne les fortissimo et les pianissimo. C’est assez déconcertant : on se croit parfois dans « Heaven and hell », façon opéra, mais jamais bien longtemps non plus.
En 1985, Vangelis fait une incursion sur le label de musique classique Deutsche Grammophon, pour la sortie de l’album « Invisible connections ». 3 titres assez abscons, qui sont par moments des successions de sons sans grande cohérence entre eux, ou parfois des notes plus ou moins longues. Bref, une oeuvre difficile d’accès, pas forcément inintéressante, mais qui manque cruellement de relief.

« Direct » sort en 1988, et présente un Vangelis beaucoup plus abordable et compréhensible. L’album nous offre une succession de titres modernes, à tendance pop, saupoudrés de piano et d’opéra. Un disque léger, mais agréable à l’écoute, de par sa diversité.
En 1990, Vangelis publie « The city », un album concept autour d’une journée dans une ville, de l’aube au coucher du soleil. On peut noter la participation aussi brève qu’exceptionnelle de Roman Polanski et Emmanuelle Seigner, pour les voix et des bruits de pas. Et si l’oeuvre manque de cohésion car on a plus l’impression que Vangelis a donné des noms citadins à ses titres (« Nerve centre », « Side streets », « Red lights »…), plutôt que la réalisation aboutie d’un disque concept, ca n’en reste pas moins un très bon album de par sa qualité musicale et sa diversité mélodique.
« I saw the cities of many men and learned their manners » Homer, l’Odyssée.


2 réponses sur « Vangelis : les albums solos »
J ai donné des cours de détente nerveuse en 1975 86 77 avec Ignacio sublime et pas concuançable par d autre mélomanes producteurs . Une merveille cet Homme . Jean
Tu es mon 1er commentaire ! Ils donnent envie tes cours, sur fond de Vangelis. Merci pour l’intérêt porté au site et désolé pour le temps de réponse. Je devrais passer dorénavant un peu plus de temps sur le site.